Le cheminement de l’école publique québécoise vers la laïcité Partie II (Suite) Par Touhami Rachid RAFFA

Publié le par MédiasMaghreb

Il est inévitable que l’école soit directement interpellée, elle aussi, par certains débats de société quand elle ne subit pas les contrecoups d’autres enjeux sociopolitiques et culturels....

  Le cheminement de l’école publique québécoise vers la laïcité Touhami Rachid RAFFA Partie II (Suite) L’école, reflet de réalités culturelles et sociales

Il est inévitable que l’école soit directement interpellée, elle aussi, par certains débats de société quand elle ne subit pas les contrecoups d’autres enjeux sociopolitiques et culturels. Au Québec, il est possible de lister plusieurs problématiques qui ont pour cadre les établissements scolaires :
Le débat habituel sur l’opportunité du financement étatique du secteur privé de l’éducation :
  • La controverse entre partisans et adversaires de l’école privée est latente et se manifeste avec vigueur de temps à autre, par-delà les prises de positions idéologiques, en périodes de restrictions budgétaires et d’augmentation constante et non négligeable de la taxe scolaire.

  • Le financement d’écoles privées confessionnelles pose particulièrement problème:
  • Ainsi, en 2006, par suite d’un tollé d’ailleurs fort justifié, le gouvernement a retiré un projet visant à financer à 100% les seules écoles privées juives.
  • À date, seuls deux établissements scolaires privés musulmans sur un total de 10 bénéficient de subventions du ministère de l’Éducation. Il est à souhaiter qu’il ne s’agit là que de délais d’homologation et de conditions de nature pédagogique et administrative à satisfaire en totalité.
    - L’augmentation des demandes de permis d’écoles privées : notamment pour des établissements à caractère religieux de communautés relativement récentes comme les musulmans de différentes obédiences (Sunnites; Sunnites-Ahbaches; Chiites).

    - Les pratiques illégales de plusieurs écoles privées secondaires juives de Montréal : celles-ci se contentent d’un enseignement judaïque et hébraïque traditionnel tout en omettant délibérément de suivre le programme obligatoire du ministère de l’Éducation. Une telle violation de la loi a mis à nu les failles du système gouvernemental de subvention et de contrôle.

    - Le laxisme du ministère de l’Éducation et des Commissions scolaires face aux écoles parallèles illégales de certains groupes sectaires : c’est le cas notamment des établissements privés, plus ou moins clandestins, de la Mission du Saint-Esprit (Joliette et Montréal – Nord) et de l’unique communauté mennonite du Québec à Roxton Falls, dévoilé par une enquête médiatique sommaire au début du mois d’octobre 2006. Il est établi que des milliers d’enfants québécois échappent à tout suivi des autorités publiques, lesquelles se contentent parfois, pour se donner bonne figure, de poursuivre en justice quelques contrevenants…qui s’établissent parfois ailleurs pour continuer à exercer en toute illégalité.

    On voit donc là les contradictions internes d’un État qui se targue pourtant d’une neutralité laïque qu’il n’hésite pas à bafouer lui-même, tant dans l’éducation que dans d’autres secteurs comme l’immigration. En effet, le gouvernement du Québec n’a pas hésité à signer des ententes avec des organismes communautaires juifs donnant pouvoir à ceux-ci de sélectionner des immigrants indépendants juifs , donc sur une base ethno-religieuse exclusive :

    - Dans la Communauté des États indépendants (issue de l’ex-URSS), des pays baltes et la Géorgie – Convention du 10 avril 1992
    - En Amérique latine (Argentine, Brésil et Uruguay) – Protocole d’entente du 2 février 2004.

    Ces privilèges exorbitants ne sont pas de même nature que les conventions liant le gouvernement à ces mêmes organismes et ceux d’autres communautés religieuses pour la sélection et l’accueil de réfugiés, ou plus exactement, selon la terminologie d’Immigration Québec, de « personnes en détresse ».

    L’évolution de l’école publique au regard de l’immigration

    Dans un réseau scolaire public traversé inévitablement par diverses tensions que connaît la société, l’immigration constitue un défi supplémentaire qui se traduit par une série d’éléments qui semblent alourdir davantage, aux yeux de nombreux citoyens, le fardeau de l’école. Celle-ci n’échappe pas aux mutations sociales, dont certaines sont justifiées, en tout ou en partie, par les changements démographiques et un apport migratoire constant et de plus en plus diversifié sur les plans religieux, ethnique et culturel.
    -La volonté d’aller au-delà de la déconfessionnalisation du seul système scolaire, c’est-à-dire des Commissions scolaires qui n’existent plus, d’ailleurs, que sur une base linguistique, depuis 1997, le tout renforcé, dès 2000, par la Loi 118.
    La déconfessionnalisation doit être achevée en 2008, en vertu de la Loi 95 de 2005, une fois qu’aura pris fin la période triennale de reconduction de la clause dérogatoire aux Chartes québécoise et canadienne des droits et libertés qui permet encore, et jusqu’à ladite échéance de l’année scolaire 2007-2008, l’enseignement religieux catholique et protestant. L’abolition du privilège dont jouissent les chrétiens semble bénéficier d’un large consensus, à la fois en raison de la sécularisation du Québec contemporain, de la diversité ethno-religieuse qui caractérise de plus en plus le tissu social, et de l’évolution de l’école publique.
    -L’introduction, dès l’automne 2008, d’un nouveau Programme d’éthique et de culture religieuse, obligatoire dans les écoles publiques comme dans les établissements privés, aux niveaux primaire et au secondaire, en remplacement des enseignements religieux catholique et protestant, et de l’enseignement moral : Désormais, le choix n’étant plus permis, tous les élèves auront accès à une seule et même formation, censée aider les élèves dans leur épanouissement, y compris au niveau spirituel, grâce à une approche culturelle des grandes religions qui ont façonné l’humanité, et ce en insistant tout de même sur cette réalité incontournable qu’est l’héritage chrétien du Québec

    La déconfessionnalisation, les manifestations du religieux et la montée de l’accommodement raisonnable à l’école

    Parallèlement à une évolution inéluctable vers la déconfessionnalisation totale, on assiste, paradoxalement diraient certains, au nom de la diversité et de la protection des minorités, à l’émergence de requêtes diverses de la part de membres de communautés religieuses, pouvant se traduire par des accommodements raisonnables négociés de gré à gré et au cas par cas ou, à défaut, imposés par CDPDJ ou les tribunaux. À cet égard, sont édifiants les exemples du Kirpan sikh et du Hijab musulman, celui-ci ayant bénéficié d’un traitement similaire pour les écoles publiques et privées par la Commission qui a imposé l’obligation d’accommodement raisonnable, comme précisé ci-dessus.

    L’ensemble de ces éléments ne doit pas occulter un enjeu capital qui se reflète dans cette question désormais classique : pour ce qui est immigrants, l’école privée, surtout quand elle est de nature religieuse, a-t-elle tendance à renforcer un repli identitaire latent, voire certaines formes de ghettoïsation? À ce sujet, l’exemple des écoles juives faisant fi du programme scolaire obligatoire est tout à fait révélateur; il en est de même d’une certaine croissance de la demande pour des écoles privées musulmanes dont les promoteurs invoquent, à tort ou à raison, la montée d’une islamophobie réelle à laquelle le Québec et le Canada n’échappent guère. Dès lors, n’y a-t-il pas lieu de considérer l’école publique commune comme le meilleur creuset de l’intégration des enfants?

    Une bonne partie de l’opinion publique québécoise résume, un peu trop vite d’ailleurs, la situation de l’école publique face à l’affirmation et aux demandes religieuses de certaines communautés minoritaires; en termes plus terre-à-terre, on entend ici et là des commentaires de ce type : « si on a réussi à faire sortir notre religion par la porte de l’école, ce n’est pas pour que d’autres y entrent par les fenêtres! » De nombreuses personnes sont convaincues que la déconfessionnalisation de l’école publique, gagnée de longue et haute lutte, ne doit donner lieu à aucune autre ouverture de nature religieuse en faveur d’une quelconque minorité, et ce d’autant plus qu’elle équivaut à une « déchristianisation » qui n’affecte que la majorité…

    Le raisonnement est aussi court que biaisé dans la mesure où, dès la rentrée scolaire de l’automne 2008, aucun enseignement religieux particulier ne sera offert par l’école, laquelle deviendra alors totalement non confessionnelle, c’est-à-dire laïque. Bien plus, le nouveau Programme d’éthique et de culture religieuse, devant présenter les fondements des grandes traditions religieuses dont l’humanité est porteuse, mettra l’accent sur les fondements chrétiens de la société québécoise. Enfin, la laïcité ne doit pas être considérée comme un dogme régissant les institutions, lesquelles ne peuvent faire table rase de la spiritualité qui habite une bonne partie des êtres humains.

(3)Documents obtenus en vertu d’une demande écrite formulée au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles en vertu la Loi sur l’accès aux documents publics et sur la protection des renseignements personnels. (2)Plusieurs travaux de grand intérêt ont été publiés sur le sujet, comme ceux de :
- Fernand Ouellet. (2002). Les défis du pluralisme en éducation. Essai sur la formation interculturelle. Sainte—Foy : Presses de l’Université Laval.
- Pierre Lucier : P. Lucier (2006). Éthique et culture religieuse à l’école québécoise : les défis de la nouveauté, dans F. Ouellet : Quelle formation pour l’enseignement de l’éthique à l’école? Presses de l’Université Laval.
- Et le remarquable plaidoyer du philosophe Georges Leroux dans sa plus récente publication :
G. Leroux. (2007). Éthique et culture religieuse. Dialogue. Arguments pour un programme. Montréal : FIDES.


 

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